Réglementation relative aux espèces protégées

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les espèces protégées ? Quelles implications pour un document d’urbanisme ? Jusqu’où peut aller le PLU en matière de protection ? Autant de question auxquelles nous allons répondre dans cette actualité. Et en bonus, notre analyse du projet de décret prévoyant de réformer le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN). Excellent mois de Juin à tous.

Qu'est-ce qu'une espèce protégée ?

Le Martin-pêcheur, espèce protégée © SIRE Conseil

La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a fixé les objectifs de la politique nationale de la protection de la flore et de la faune sauvages. Dès son article premier, elle stipule que la préservation des espèces animales et végétales est d’intérêt général. En droit français, les espèces protégées correspondent à des espèces animales et végétales mentionnées sur des listes fixées par arrêtés ministériels. En règle générale, les arrêtés interdisent l’atteinte aux individus, la perturbation intentionnelle des animaux, la détention des spécimens ou encore la dégradation de leurs habitats.

La présence d'espèces protégées et le PLU

La prise en compte de la présence d’espèces protégées pour définir les secteurs constructibles d’un document d’urbanisme est donc avant tout une obligation réglementaire. La préservation de la biodiversité et du cadre de vie sont malheureusement des arguments rarement entendus par les maîtres d’ouvrages lorsqu’ils sont mis en balance face à la nécessité d’accueillir de nouveaux habitants. Si pendant des années l’élaboration des documents d’urbanisme a pu se passer de l’expertises des écologues, aujourd’hui la doctrine a évolué. Et elle continue à le faire dans le sens d’une prise en compte toujours plus exhaustive de la biodiversité. 

Cette tendance n’est pas sans rappeler celle observée à la fin des années 2000 où on nota un durcissement progressif des exigences des services instructeurs en matière de prise en compte de la biodiversité dans le cadre des études d’impacts. Jusqu’à cette époque, un unique passage sur le terrain par un écologue généraliste suffisait souvent à l’obtention des autorisations administratives… Aujourd’hui, pour un PLU, très souvent, un passage sur le terrain suffit encore malheureusement à définir les enjeux de conservation écologique servant de base à la définition des secteurs constructibles. 

Néanmoins, de plus en plus régulièrement, l’autorité environnementale émet des réserves dans les avis qu’elle rend, en reprochant l’effort de terrain trop faible consenti pour la définition des enjeux de conservation écologique, a fortiori lorsque ces prospections ont été conduites au cours de périodes peu favorables, notamment en automne ou en plein hiver. Mais tant que ces mêmes services instructeurs n’émettront pas d’avis défavorable pour ces raisons, c’est la politique du consultant le moins cher qui s’imposera au détriment de celle du plus compétent, dans le cadre des mises en concurrence. Espérons que les Directions Départementales des Territoires, qui assistent les maîtres d’ouvrage tout au long de la procédure, guident ces derniers vers la sélection de cabinets de conseil compétents en matière de prise en compte de la biodiversité lors des appels d’offres.

Quels sont les outils offerts par le PLU ?

Il existe presque autant de solutions de préservation de la biodiversité qu’il existe de situations. Les solutions d’évitement et de protection doivent évidemment être utilisées en priorité. La présence d’un enjeu de conservation écologique, qu’il soit réglementaire (par exemple une espèce protégée) ou patrimonial (par exemple une prairie jamais labourée de mémoire d’homme) devrait guider prioritairement le maître d’ouvrage vers un évitement du secteur concerné. Par exemple, si le diagnostic environnemental met en évidence la présence d’un arbre abritant des espèces d’insectes protégés, il est possible de ne pas rendre inconstructible toute la parcelle concernée. En effet, un aménagement précautionneux, défini par un écologue dans le cadre d’une Orientation d’Aménagement et de Programmation (OAP) peut par exemple protéger et mettre en valeur l’arbre en question, en décidant d’aménager une placette enherbée autour de celui-ci, d’y organiser un espace de rencontre et pourquoi pas même d’y installer un panneau d’informations présentant l’espèce protégée qu’il abrite. Toute intervention sur cet arbre (coupe ou abattage) resterait soumise aux dispositions de la réglementation relative aux espèces protégées (article L. 411-2  du Code de l’environnement), qui s’impose au PLU. Des dérogations aux interdictions de destruction, dérangement, etc. peuvent être obtenues, sous réserve que le projet réponde cumulativement aux trois exigences réglementaires fixées par le Conseil d’Etat, à savoir :
– Qu’il n’existe pas de solution alternative ;
– Que le projet ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations animales ou végétales concernées ;
– Que le projet présente un intérêt pour la santé et la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement.

La coupe de branches dangereuses pourrait par exemple être autorisée, après obtention de la dérogation, dans ce cadre.

Crassula tillaea, plante protégée en Midi-Pyrénées © SIRE Conseil

Les OAP sont donc un outil intéressant car elles permettent de formuler des principes opposables d’aménagement opérationnels. Très récemment, c’est la présence d’une petite plante protégée qui a orienté une de nos OAP pour le PLU d’une commune de Haute-Garonne. La mousse fleurie (Crassula tillaea) a obligé le maître d’ouvrage à revoir le schéma d’aménagement auquel il avait pensé pour protéger cette discrète petite annuelle !

Beaucoup d’autres outils existent pour garantir la préservation de la biodiversité à l’échelle d’un PLU. La définition de zones indicées, par exemple Nrb (pour Naturelle à vocation de réservoir de biodiversité) est un outil intéressant, si la réglementation spécifique qui l’accompagne est intelligemment construite. Dans ces zones présentant un intérêt environnemental certain, il pourrait par exemple être décidé d’interdire toute nouvelle construction, y compris les extensions et annexes des constructions existantes. Dans d’autres secteurs, qui présentent par exemple un enjeu lié à un corridor écologique terrestre, il pourrait être pertinent de réglementer les clôtures, afin d’en garantir la perméabilité pour la faune. 

L’Espace Boisé Classé (voir la fiche-outil correspondante) est également un outil envisageable. De même que l’application de l’article L. 151-23 du Code de l’urbanisme (voir la fiche-outil correspondante), qui présente l’intérêt d’identifier des éléments de paysage ou des secteurs à protéger et de définir les modalités de leur protection. Par exemple, le maître d’ouvrage pourrait décider d’identifier des haies au titre de cet article, et de soumettre leur arrachage à la nécessité d’une compensation à hauteur de deux ou trois fois le linéaire arraché.

Pour aller plus loin, et notre avis

Vous pourrez retrouver l’essentiel des informations relatives à la prise en compte des espèces protégées dans les documents d’urbanisme dans notre fiche-outil dédiée, bientôt mise en ligne !

Avant d’aborder le projet de décret relatif à la simplification de l’autorisation environnementale, revenons sur quelques éléments récents de jurisprudence relative aux espèces protégées. Le 25 Mai 2018, le Conseil d’Etat décidait qu’une raison d’intérêt public majeur ne pouvait pas justifier à elle seule la dérogation à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée. Plus récemment, c’est le Département de la Dordogne, maître d’ouvrage du projet routier de contournement de Beynac, qui l’a appris à ses dépens et a fait appel du jugement du Tribunal administratif de Bordeaux du 9 Avril 2019, qui a annulé l’autorisation délivrée par le préfet de la Dordogne en janvier 2018, alors que les travaux avaient commencé.

Concernant le projet de décret, rappelons qu’il n‘intéresse que les cas de saisine du CNPN dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation environnementale. Parmi les mesures présentées, la principale concerne la saisine du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) en lieu et place du CNPN par le préfet, pour émettre un avis sur les demandes de dérogation pour destruction d’espèces protégées. Le CNPN ne serait saisi que par mesure dérogatoire pour cette procédure, alors qu’il l’était systématiquement auparavant.

Par ailleurs, le projet de décret expose les cas dans lesquels le CNPN resterait l’instance saisie :

– Lorsque l’autorisation environnementale intéresse une espèce mentionnée sur la liste des espèces de vertébrés protégées, menacée d’extinction en France (article R. 411-8-1 du Code de l’environnement) ; 

– Lorsque l’autorisation environnementale intéresse la destruction d’une espèce figurant sur la liste établie en application [ndlr : du futur article] de l’article R. 411-13-1 du Code de l’environnement.

Ce projet de décret, proposé dans un souci de simplification de la procédure et de préservation de la biodiversité ne répond en l’état à aucun de ces deux objectifs. Par ailleurs, sans préjuger de l’indépendance et de l’absence d’intérêts particuliers des membres composant le CSRPN au regard des projets locaux qu’ils seraient amenés à évaluer, le rôle des CSRPN n’est pas d’émettre un avis sur les projets de développement. Leur fonction première, précisée aux articles R. 411-22 à R. 411-29 du Code de l’environnement, est d’émettre un avis sur la conservation du patrimoine naturel en général. 

Le sonneur à ventre jaune bénéficie d'un PNA © SIRE Conseil

Enfin, le projet de décret ne donne aucune indication quant aux critères de sélection des espèces figurant sur la future liste établie en application du futur article R. 411-13-1 du Code de l’environnement… La moindre des choses aurait été de préciser ces critères ! Cette liste se limitera-t-elle aux espèces bénéficiant d’un Plan National d’Action ? En résumé, est-ce que cette volonté de simplification n’aboutirait pas plutôt à la complexification d’une procédure déjà écrasante pour les porteurs de projets ?

Thomas SIRE