Zéro artificialisation nette et renaturation : utopique ?

Le lancement du Plan Biodiversité par Nicolas Hulot alors Ministre de l.’environnement le 4 Juillet 2018 introduisait l’objectif de Zéro Artificialisation Nette des sols. L’étalement urbain et l’artificialisation des sols, en détruisant et en morcelant les espaces naturels, agricoles et forestiers, contribuent en effet directement à la dégradation du fonctionnement des écosystèmes et à l’érosion de la biodiversité. Malgré les progrès de la planification urbaine, la consommation des espaces naturels reste trop rapide, même dans les zones où la population n’augmente pas, avec pour causes la construction d’habitats individuels, de zones commerciales en périphérie et le développement d’infrastructures de transport ou logistiques. On considère que les espaces artificialisés sont constitués pour deux tiers de sols imperméabilisés (routes, parkings, espaces bâtis) et pour un tiers de surfaces non imperméabilisées (jardins, terrains de sport, chemins, chantiers). 

Augmentation démographique vs. artificialisation

En France, la population a augmenté de 19% en près de 40 ans, alors que l’artificialisation des sols a augmenté de 70% au cours de la même période. Cela correspond à plus de 65 000 ha artificialisés chaque année, soit l’équivalent d’un département tous les 7 à 10 ans !

Les espaces où les espèces peuvent vivre et se déplacer se raréfient, les écosystèmes sont de plus en plus fragmentés et les citoyens sont de plus en plus distants d’une nature inaccessible. Au-delà de la biodiversité, ce sont l’attractivité, la résilience des territoires et la qualité de vie des citoyens qui sont en jeu. L’analyse de l’artificialisation des terres en France par le Commissariat Général au Développement Durable (étude du 12 Octobre 2018) montre une situation particulièrement préoccupante, avec :

– 73 % des espaces consommés se situant dans des communes dans des zones non tendues pour l’accès au logement ;

– 37 % se situant dans des communes où le taux de vacance augmente deux fois plus vite que la moyenne nationale ;

– 21 % se situant dans des communes dont la population décroit…

Avant le "zéro artificialisation nette" : limiter la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers

Depuis une vingtaine d’années, le contexte législatif n’a cessé de se renforcer dans le but de garantir une gestion économe et équilibrée des espaces naturels, agricoles et forestiers. En 2000 déjà, la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) conférait aux Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et cartes communales la mission d’assurer l’équilibre entre un développement urbain maîtrisé et la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Elle posait par ailleurs le principe d’une utilisation économe des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux. 

En 2010, le mouvement s’est accéléré avec d’une part la loi Grenelle 2, qui oblige les SCOT et les PLU à analyser la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestier et à fixer des objectifs chiffrés pour maîtriser cette consommation d’espaces. D’autre part, la loi de Modernisation de l’Agriculture et de la Pêche a institué les Commissions Départementales de Consommation des Espaces Agricoles (CDCEA) ainsi que l’Observatoire National de la Consommation des Espaces Agricoles (ONCEA). 

Plus récemment, 2014 a marqué une nouvelle étape avec la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR), qui précise les obligations des PLU en matière d’analyse et d’objectifs et introduit la nécessité de conduire une analyse des capacités de densification et de mutation lors de l’élaboration des documents d’urbanisme. En octobre de cette même année 2014, la loi d’Avenir pour l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt (LAAAF), a élargit le périmètre des CDCEA et de l’ONCEA aux espaces naturels et forestiers, qui deviennent alors respectivement Commissions Départementales de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CDPENAF) et l’Observatoire de l’Evolution des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (OEENAF). La LAAAF précise également que les SCOT doivent sectoriser leurs objectifs chiffrés de consommation économe d’espaces tout en décrivant les enjeux propres à chaque secteur. Pour rappel :

Un espace agricole correspond à un espace où s’exerce une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du Code Rural et de la pêche maritime.

Un espace forestier correspond à un espace exploité caractérisé par la présence d’arbres d’essences forestières et par l’absence d’autre utilisation du sol.

Un espace naturel correspond à un espace non artificialisé, non agricole ou forestier non exploité.

La nécessité de sobriété en matière de consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers est donc aujourd’hui une exigence réglementaire connue par les maîtres d’ouvrages, même s’il reste fort à faire pour les convaincre d’aller en direction du « zéro artificialisation nette ».

 

Artificialisation des sols par extension pavillonnaire

Comment aménager sans consommer ? La réponse à travers la renaturation ou désartificialisation

Dans l’application stricto-sensu de la séquence Eviter-Réduire-Compenser, l’aménagement d’un terrain devra être compensé par la renaturation (ou désartificialisation) d’un terrain équivalent. Les modalités précises de cette compensation restent à définir, mais, dans un premier temps au moins, cette compensation devrait se diriger préférentiellement vers les sites dégradés, abandonnés ou déjà fortement artificialisés. 

Pourquoi renaturer ou désartificialiser ?

La renaturation et la désartificialisation d’un terrain peuvent avoir de nombreux impacts positifs et peuvent même permettre à des sites d’offrir des services intéressants en matière de gestion des eaux pluviales, de lutte contre les îlots de chaleur, et même de biodiversité, La première étape passe inévitablement par la désimperméabilisation, fer de lance matérialisé par l’action 11 du Plan Biodiversité, qui soutiendra 10 projets innovants ou démonstrateurs en 2020.

Quels enjeux pour quelles communes ?

Densifier ou respirer ? Dans les villes, la question mérite d’être posée, et aucune réponse ne peut être donnée de manière générale. Chaque cas mérite d’être finement étudié selon des critères incluant le volet paysager et environnemental. Dans une logique d’adaptation au changement climatique et en prolongement des récentes vagues de chaleur subies en France, nombre de ces espaces dégradés, abandonnés ou fortement artificialisés affichent un immense potentiel et devraient davantage être considérés comme une ressource et pas uniquement en termes de gisement constructible. Agriculture partagée, lieux de rencontre, liaisons douces, élément constitutif d’une trame verte, bleue ou noire, gestion pluviale, sont autant de possibilités offertes par ces espaces à renaturer.

Dans les communes rurales, le regard devrait plutôt se porter sur les friches industrielles et les carrières. Si ces dernières sont assujetties à la nécessité de la mise en oeuvre d’un plan de gestion environnemental à l’issue des activités d’extraction, les friches industrielles offrent un potentiel de renaturation élevé et des potentialités écosystémiques fortes. SIRE Conseil vous accompagnera dans l’identification et la caractérisation de ces sites.

 

Ancien site industriel à Damazan (47), propice à la renaturation

Quelles dynamiques à venir ?

La nécessité réglementaire de compensation de l’artificialisation des sols n’est pas encore d’actualité. La modération de la consommation de l’espace reste la règle applicable à l’élaboration du Projet d’Aménagement et de Développement Durables des PLU et rien n’oblige encore les SCOT à identifier les sites à désartificialiser. Néanmoins, la notion de « zéro artificialisation nette » prend de l’ampleur dans les questions d’aménagement du territoire. Perçue et analysée au départ comme une annonce quelque peu provocatrice pour les maîtres d’ouvrage locaux, elle trouve progressivement une crédibilité et s’est trouvée renforcée par la mise en place de l’observatoire sur l’artificialisation des sols cet été. Les conséquences de cette prise en compte sont difficilement qualifiables, mais il y a fort à parier que les communes et communautés de communes devront d’une part faire des efforts (toujours plus) importants en matière de gestion économe de l’espace et d’autre part devront identifier les sites susceptibles de représenter la compensation de la consommation d’espace envisagée puis définir les modalités de renaturation qu’elles décident de mettre en place.

Et c’est une bonne chose, car le scénario tendanciel de l’artificialisation des sols à un horizon de quelques décennies nous amène à nous questionner sur la France que nous laisserons à nos enfants.