Par Imane ROMANGIN : La protection des oiseaux : chronologie, prise en compte dans l’environnement urbanistique et questionnements autour de leur conservation

La protection des oiseaux : chronologie, prise en compte dans l'environnement urbanistique et questionnements autour de leur conservation - Par Imane ROMANGIN

« C’est un temps bizarre où les oiseaux, qui pourtant disparaissent, reviennent : reviennent dans notre champ de vision, notre attention, notre parole. Les oiseaux reviennent ou plutôt : on y pense plus souvent, on en parle davantage, on tend l’oreille, on tente de nouvelles conversations, on se cramponne à leurs bienfaits, on les regrette déjà. Comme si on essayait de les entendre mieux (de les entendre enfin) au moment même où ils s’en vont. »

Marielle Macé, Une Pluie d’Oiseaux

Les oiseaux aux premières lignes de la dérive climatique et victimes de l’activité humaine

Les oiseaux sont un groupe du vivant qui éveilla l’intérêt de l’humanité depuis les débuts de son existence. Ils nous fascinent et nous inspirent, par leur endurance (on pense à la sterne arctique, plus grande voyageuse du règne animal avec ses 70 000 kilomètres par an), par leurs comportements étonnants témoignant de leur capacité à survivre dans des environnements hostiles, inconnus ou imprévisibles (rappelons-nous des ballets aériens d’étourneaux qui envahissent le ciel). Ils nous ont inspiré leur ingéniosité, mais aussi simplement la beauté qu’offre le spectacle de leur observation et de leur écoute.

 

Plus qu’un phénomène appréciable pour nombre d’entre nous, les oiseaux tiennent également, comme toutes les espèces d’animaux, un rôle crucial dans la régulation des écosystèmes à différentes échelles. Leur circulation aide à la dispersion des graines et à la pollinisation des plantes, les insectivores aident à la régulation des effectifs d’insectes par prédation et au maintien d’autres espèces secondaires, les charognards limitent les épidémies et les pollutions organiques… Ils représentent donc un excellent indicateur de qualité environnementale.

Pourtant, aujourd’hui, les oiseaux tombent, les uns après les autres. Sur les 284 espèces d’oiseaux nicheurs se reproduisant en France métropolitaine, 92 sont menacées, soit 32%. À titre de comparaison, la part d’oiseaux nicheurs menacés s’élève à 12% à l’échelle mondiale. Eaux réchauffées devenues stagnantes et  envahies de bactéries, canicules, vagues de froid, dérèglement des saisons et du calendrier migratoire, disparition des proies, il y a de quoi lister les impacts de la dérive climatique sur les populations d’oiseaux. 

Mais l’avifaune est aussi menacée par des actions directement induites par l’Homme : chasse,  agriculture intensive et les pesticides qui l’accompagnent, déforestation et destruction des habitats, braconnage et capture illégale… Désormais réglementées voire interdites, ces pratiques se sont attiré les foudres des organisations et collectifs naturalistes, mais aussi des lanceurs d’alerte sur le  réchauffement climatique. La mise sous protection des oiseaux ne date pas d’aujourd’hui, pourtant, les chiffres restent alarmants. Revenons sur l’histoire de la protection des oiseaux, la prise en compte de leur cycle de vie dans l’urbanisme, et leur situation actuelle.

Au 19ème siècle, de nombreuses espèces ont disparu du globe. On peut citer le Grand Pingouin ou le Cormoran à lunettes. Les premières lois sur la protection des oiseaux et la réglementation de leur chasse apparaissent à la fin de ce siècle, c’est le cas de la Seabirds Protection Act voté en Angleterre en 1869, témoin du début de la prise de conscience de la vulnérabilité de ces populations.

A l’échelle Européenne, la Convention pour la Protection des Oiseaux utiles à l’agriculture est signée en 1902 à Paris par douze Etats Membres. Il en résulte un classement des oiseaux en nuisible/non nuisible selon leur utilité dans l’agriculture. Mais la convention, jugée plus utilitaire que protectrice, est contestée par la communauté scientifique, qui condamne cette distinction controversée.

Le début du 20ème siècle continue de voir évoluer les actions mises en place pour la protection des
oiseaux : créations d’associations, et autres conventions. Les premières réserves naturelles sont fondées dans les années 1930, suivies de près par les Parcs Nationaux. En 1950, La Convention Internationale pour la Protection des Oiseaux remplace celle de 1902, condamnant ainsi l’aspect utilitaire accordé aux différentes espèces, le remplaçant par le concept d’espèces menacées d’extinction, en soulignant la nécessité de préserver leurs habitats.

A l’échelle internationale, une prise de conscience quant à l’importance des zones humides, notamment en tant qu’habitat crucial pour l’avifaune, se met parallèlement en place, notamment aux Etats-Unis. Ses répercussions sont concrétisées par le Migratory Bird Hunting Stamp Act. C’est le début de la mobilisation des associations pour la protection de ces milieux, et nombreuses d’entre elles acquièrent des terrains afin de protéger les espèces qui y effectuent leur cycle de vie. L’adoption de lois dans le cadre de la protection des oiseaux continue à l’échelle mondiale, en passant par l’interdiction de la récolte des œufs, la protection des rapaces et des espèces migratrices.

Les années 60 à 70 voient s’établir la Convention Ramsar, dont l’enjeu est d’empêcher la disparition des Zones Humides et de les protéger.

En 1979, La convention de Bonn instaure mondialement la directive Oiseaux, solidifiant les mesures déjà en place et donnant une plus grande visibilité aux associations. Ce sont les débuts d’affronts conséquents entre la communauté des chasseurs et les associations naturalistes, notamment au sujet des dates de migration et d’ouverture de la chasse. La France enfreindra à de multiples reprises les règles imposées par la convention et sera condamnée par les instances européennes.

Les années 2000 voient apparaitre les débuts de réflexions autour des réseaux écologiques (aujourd’hui connus sous le nom de Trame Verte et Bleue) déclinées à l’échelle européenne, nationale et locale. Les espèces menacées sont classées par listes déclinées à diverses échelles administratives et géographiques : département, région, pays… afin de déterminer leur niveau de vulnérabilité.

Aujourd'hui : que stipule la Loi en France ?

L’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection indique une liste des oiseaux pour lesquels il est formellement interdit de :

          – Détruire ou enlever des oeufs et des nids ;

          – Détruire, mutiler, capturer et enlever des individus ; 

          – Perturber (surtout pendant la période de reproduction et de dépendance) les individus ;

          – Détruire, altérer, dégrader les sites de reproduction et les aires de repos ;

          – Transporter, naturaliser, colporter, mettre en vente, ou acheter des individus.

La prise en compte des oiseaux dans les documents d'urbanisme

Les procédures d’élaboration de modification de documents d’urbanismes prennent en compte la protection de la biodiversité, qu’elle s’applique dans les espaces naturels proches ou dans les zones urbanisées. Diverses préconisations accompagnent régulièrement les expertises naturalistes et les bureaux d’étude afin de prendre en compte le cycle de vie des oiseaux dans le développement urbain. Ces dernières comprennent la lutte contre l’étalement urbain et le mitage des espaces agricoles et naturels, habitats de l’avifaune, la conservation de certaines entités nécessaires au cycle de vie des oiseaux : Zones Humides, identités végétales remarquables (alignements, haies, arbres à cavités, etc…), la végétalisation de l’espace urbain et le bâti ; la limitation de la baisse du patrimoine bocager, l’intégration réfléchie des continuités écologiques dès l’exercice de planification territoriale, la prise de compte des oiseaux dans le bâti lui-même, avec une attention toute particulière pour les espèces anthropophiles, fournir aux acteurs des éléments techniques et opérationnels exploitables, comme des recommandations sur l’inclusion de gîtes, nichoirs, ou des dates préférentielles de chantier afin de réaliser des projets sans empiéter sur les périodes de reproduction des espèces.

Un enjeu de conservation complexe

Si les chiffres sur les effectifs d’oiseaux sont globalement encore alarmants aujourd’hui, il est alors légitime d’interroger nos pratiques de gestion et de conservation de l’avifaune, d’évaluer leur pertinence et leur réelle utilité. La multiplicité des listes d’espèces menacées n’est pas sans poser des questions relatives à leur valeur et à leur cohérence, et a déjà été remise en cause. Mais il est indéniable que ces listes ont permis la conservation, la restauration et même la création de nombreux habitats importants pour l’avifaune.

Les réserves naturelles libres d’accès ont-elles aussi été au cœur de controverses, car ce sont souvent des endroits fréquentés, et les gestionnaires ne parviennent pas toujours à allier tourisme et quiétude des populations. 

De plus, la place de la recherche biogéographique dans l’étude du dérangement du vivant est peu concentrée sur la faune. Paul Arnould déplore ce manque dans son livre sur la biogéographie, et estime que ces études s’amorcent tardivement au vu des tournants environnementaux qui s’annoncent. C’est donc la qualité et la profondeur de l’étude des impacts sur l’avifaune qui peuvent être remises en cause, et le manque de protocole scientifique visant à recueillir des éléments précis sur les conséquences de nos actions sur les populations.

Nos estimations et pronostics demeurent trop vagues aux yeux de certains, et délaissés par la communauté scientifique. Les sites de migration en sont un exemple dans la métropole française. Ces derniers sont chaque année un lieu de rendez-vous pour les ornithologues, passionnés et venus d’associations naturalistes. L’identification et le dénombrement des oiseaux migrateurs fait partie intégrante du suivi de l’état de leurs populations, et joue un rôle phare dans l’appréhension des changements de saisons qui accompagneront la dérive climatique. Pourtant, chaque année, des sites sont dans l’incapacité de rouvrir officiellement par manque de financement pour obtenir des équipes de professionnels sur place, et seuls quelques bénévoles maintiennent un suivi, loin d’être exhaustif ou optimisé.

Il est ainsi évident que la question du dérangement et de la vulnérabilité des oiseaux est complexe, les enjeux qui lui sont associés sont nombreux et dépendent de divers facteurs. Bien qu’elle puisse laisser derrière elle une impression d’impuissance chez certains, cette question doit aussi, mais surtout, éveiller les consciences de tous et toutes, afin de partager ces informations cruciales, de faire face à la réalité des chutes d’effectifs, et de questionner ensemble, et à toutes les échelles, de nouveaux principes à mettre en place pour protéger les sentinelles de la nature.

 

 

Crédits photo : Thomas SIRE, Gwladys TZVETAN, Imane ROMANGIN

Sources

OISEAUX MENACES ET A SURVEILLER EN FRANCE. Listes rouges et recherche de priorités, Gérard Rocamora et Dosithée Yeatman-Barthelot

https://paca.lpo.fr/protection/biodiversite-et-bati/la-lpo-et-l-urbanisme

https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/UICN-LR-Oiseaux-diffusion.pdf

Une Pluie d’Oiseaux, Marielle Macé

Histoire de la Biogéographie, Paul Arnould

Le dérangement de l’avifaune sur les sites naturels protégés de Bretagne : état des lieux, enjeux et réflexions autour d’un outil d’étude des interactions hommes/oiseaux, Nicolas Le Corre